Sujet : « Crépuscule de la vérité. »

7280 candidats – Moyenne : 10,29

Moyenne par option :

Scientifique : 11
Economique : 10,43
Technologique : 6,45

Moyenne par école :

HEC Paris : 10,97
ESCP Europe : 10,84
Audencia Nantes : 10,26
ENAss : 9,42

Rapport :

La moyenne générale des 7280 copies corrigées est de 10,29. 1656 copies (22,75 %) ont obtenu une note égale ou supérieure à 14. 3894 copies (53,5 %) ont obtenu une note égale ou supérieure à la moyenne. 1193 copies (16,4 %) ont eu une note égale ou inférieure à 6.

Le sujet proposé cette année, « Crépuscule de la vérité », par la multiplicité des approches qu’il permettait, donnait aux candidats l’occasion de mobiliser leurs connaissances et leur culture littéraire et philosophique de façon variée, en construisant une problématique personnelle. Trois principales pistes ont été suivies, et certaines des meilleures copies ont su articuler dans un ensemble cohérent les diverses perspectives qu’elles offraient.

On pouvait tout d’abord s’attacher, en effet, au sens le plus commun du « crépuscule », désignant la lumière déclinante qui succède au coucher du soleil ; le « crépuscule de la vérité » désigne alors le moment où la « lumière » de la vérité (métaphore dont certains candidats ont su analyser intelligemment les présupposés) cesse de nous éclairer pleinement, voire le moment où la vérité elle-même décline, moment annonciateur de sa possible disparition – ce qui posait le problème de savoir si la vérité peut ne pas être éternelle et avoir une histoire (une réflexion sur les thèses de Foucault ou de Nietzsche, sur ce point, manifestant des connaissances solides sur l’un ou l’autre des ces deux auteurs, a permis au jury de lire d’excellentes copies).

On pouvait aussi entendre par « crépuscule de la vérité » la lumière crépusculaire où la vérité se révèle, présupposant ainsi qu’elle ne se manifeste qu’au soir d’une vie ou d’une époque (le mot de Hegel, affirmant que la chouette de Minerve ne prend son vol qu’au crépuscule, a été, dans quelques copies le point de départ – ou d’arrivée – de bonnes analyses), ou encore dans une lumière toujours mêlée d’obscurité (les candidats qui ont pris le « crépuscule » au sens plus rare où il peut désigner aussi bien la lumière du soir que celle du matin se sont généralement orienté dans cette direction, qui a donné lieu à quelques bonnes, voire excellentes, copies). Cette dernière approche a permis, en particulier, à des candidats de mobiliser une solide culture littéraire et artistique visant à montrer que c’est dans l’art et la poésie que la vérité se révèle, mais de manière indirecte, voilée, et comme crépusculaire.

Une troisième piste (qui a conduit les candidats à rédiger des copies parfois honorables, mais souvent plus banales, moins riches de contenu et formulant moins de questions que les deux précédentes) consistait à entendre par « crépuscule » l’obscurité (du soir ou du matin, indifféremment) que comporte toujours la vérité, posant alors la question de savoir si la vérité comporte toujours une part d’ombre et ne peut jamais paraître en pleine lumière.

Ce n’est pas le choix de l’une ou l’autre de ces approches, pas plus, bien entendu, que le choix des références ou des thèses soutenues, qui a distingué les copies et valu à leurs auteurs des notes excellentes comme de moins bonnes notes, mais la manière dont les candidats ont su faire un usage pertinent et maîtrisé de leurs connaissances littéraires et philosophiques, et leur capacité de les mettre au service d’une réflexion autonome, visant à formuler, à travers un parcours méthodique, un jugement éclairé sur les problèmes que pose le sujet, à partir du choix d’un fil conducteur.

Le rapport de l’an dernier soulignait, de ce point de vue, l’importance d’un plan construit en vue de résoudre un problème, et ne se réduisant pas, par conséquent, à un regroupement en trois parties, simplement juxtaposées, de citations variées et récitées sans esprit critique. Ce conseil a visiblement été entendu, et un grand nombre de copies ont manifesté un réel effort de construction, souvent original, et donnant lieu à une grande variété de traitement du sujet.

Peu de progrès, par contre, dans l’orthographe, la syntaxe et le style. Les notes en pâtissent, naturellement. Rappelons aux candidats qu’une langue correcte et la maîtrise de l’écriture (qui n’est pas la simple transposition de la parole, mais a son style et ses exigences propres) sont la condition première d’une dissertation réussie. Les candidats qui ne font pas l’effort nécessaire pour écrire dans une langue sans faute et soutenue ne sauraient espérer voir cela compensé par la qualité du contenu : comment évaluer des idées ou des connaissances que l’expression rend confuses et souvent incompréhensibles par son incorrection ? Ajoutons que l’usage d’un style oral, adapté peut-être à la communication d’idées simples dans les médias, ne convient pas à la construction complexe d’une dissertation, qui exige un style soutenu et propre à la communication écrite.

Si on laisse de côté les copies véritablement indigentes et manifestant une absence presque totale de travail et de prise au sérieux des exigences de l’épreuve, ce qui a été souvent discriminant cette année a été l’usage, récitatif ou critique, pertinent ou irréfléchi, qu’ont fait les candidats des connaissances qu’ils ont mobilisées. Trop nombreux, en particulier, sont ceux qui mettent sur les même plan toutes les références, qu’il s’agisse d’une thèse soutenue explicitement par un auteur ou du propos d’un de ses personnages, d’un fait universellement vérifiable ou du récit d’une expérience singulière, d’une fiction ou d’un récit historique, d’un mythe ou d’une théorie scientifique, d’un jugement argumenté ou d’une affirmation gratuite (rares sont de ce point de vue les copies qui situent les thèses qu’elles citent dans leur contexte argumentatif, qui semble, la plupart du temps ignoré, – ignorance ou indifférence laissant supposer un mode de préparation du concours plus soucieux de récitation que de compréhension, et négligeant la lecture directe des grandes œuvres au profit d’extraits, de résumés ou de recueils de citations). C’est ainsi par exemple qu’après avoir résumé l’Hélène d’Euripide et affirmé qu’elle symbolise la tromperie, un candidat, glissant du symbole à l’exemple et du cas à la loi, en conclut que l’homme est toujours confronté à un réel trompeur et qu’ainsi la vérité est toujours crépusculaire. L’allégorie platonicienne de la caverne est tantôt prise pour une « preuve » du caractère crépusculaire de la vérité à laquelle nous fait accéder l’expérience sensible, ou comme un « argument » montrant la nécessité d’un long apprentissage pour sortir du crépuscule et parvenir à une vérité pleinement manifeste. Quelle que soit l’interprétation retenue du mythe dans ses relations avec le sujet, trop de candidats prennent le récit de Platon pour un argument immédiatement probant, sans prendre la peine de considérer, tant la composition d’une dissertation est pour eux un exercice artificiel sans grand rapport avec une réflexion véritable et même avec le simple bon sens, qu’une allégorie n’est ni un exemple ni un argument, et qu’elle peut tout au plus rendre une idée sensible, sans prouver par elle-même quoi que ce soit. La confusion de la fiction et du réel se combine souvent à une réception sans esprit critique des thèses repérées dans les ouvrages cités. Ainsi un candidat, après avoir résumé À chacun sa vérité de Pirandello en conclut sans argumentation : « Ainsi, il n’y a pas de vérité ». Les épreuves que doit traverser Tamino dans La flûte enchantée « montrent » que la vérité est difficile d’accès et qu’il est par conséquent difficile de sortir du crépuscule. L’enquête du photographe de Blow up d’Antonioni « prouve » à un candidat que c’est par des chemins toujours inattendus (et donc obscurs, crépusculaires) que l’on découvre la vérité. Le mythe d’Œdipe (qui a par ailleurs conduit à d’excellentes analyses dans les meilleures copies) autorise bien des « conclusions » irréfléchies : cela « montrerait » la nécessité de se satisfaire d’une part d’ombre, ou le temps dont a besoin la vérité pour se dévoiler.

Rappelons donc aux candidats que citation n’est pas raison et que l’on attend d’eux un usage critique des références qu’ils mobilisent : les thèses citées doivent toujours être accompagnées des raisons qui les fondent (ce qui exclut l’apprentissage et la récitation de formules isolées) et le statut des références doit être pris en compte afin d’en faire un usage pertinent (une image ou une allégorie n’est pas un exemple, un épisode de roman n’autorise pas les mêmes conclusions qu’un fait historique…).

Les copies qui ont manifesté une véritable culture littéraire, loin de chercher dans la littérature une mine d’exemples (histoires ou personnages) servant simplement à illustrer des thèses arbitrairement choisies, ont su s’interroger sur le statut même de la littérature dans ses relations avec la vérité et sur le mode spécifique de manifestation de la vérité qu’elle rend possible ; et c’est en ne cherchant pas à « illustrer » des idées par des références, mais en s’efforçant de les soumettre à un examen critique, que les candidats ont fait preuve d’une véritable culture philosophique. Le jury a eu plaisir à lire ces copies, et encourage ceux qui préparent le concours à travailler en ce sens.

En attendant, consultez nos conseils pour bien travailler lors des vacances de la Toussaint en bizuth, carré ou cube !