Ce n’est pas l’accumulation d’informations qui crée la connaissance. ( E. Morin et M. Ceruti)

Le monde est de plus en plus complexe. Tenter d’en comprendre le fonctionnement géoéconomique ou géopolitique implique d’adopter une démarche pluridisciplinaire, de se méfier de nos représentations européano-centrées et… de définir clairement nos objets d’étude. C’est l’objet de cette rubrique qui proposera de revenir sur quelques concepts clés pour appréhender le monde contemporain.

CRISE

Définitions :

La crise est au sens premier une phase grave dans l’évolution des choses , des événements., une rupture , une perturbation importante.

Le terme de crise économique est couramment utilisé soit dans le sens du point de retournement entre une phase d’expansion et une phase de dépression, soit plus largement comme une phase de contraction marquée par une baisse durable du taux de croissance et l’augmentation du taux de chômage.

La dépression est la phase d’un cycle économique marquée sur la longue durée par la contraction de la production, de la demande, des revenus. Le terme de récession est utilisé soit pour désigner un ralentissement passager de l’activité économique , soit, dans le sens usuel  aux Etats-Unis, lorsque le PIB recule deux trimestres consécutivement.

Le terme de « crise économique » a été appliqué par les contemporains à la période qui débuta en 1973. Après la croissance des Trente glorieuses, le passage durable à une croissance ralentie ( mais supérieure à  2.5 % par an tout de même pour les PDEM jusqu’au début des années 1990) apparaissait comme une crise, voire une dépression  ! La transition était brutale. En effet,  indépendamment du taux de croissance pourtant enviable, cette période s’accompagnait de mutations durables du travail et de l’emploi et signifiait l’épuisement d’un système, le système fordiste de production.

« La crise , écrit l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci en 1930,  est le moment où l’ancien ordre du monde s’estompe et où le nouveau doit s’imposer en dépit de toutes les résistances et de toutes les contradictions. Cette phase de transition est justement marquée par de nombreuses erreurs et de nombreux tourments » . La crise est ainsi perçue comme une transition, le passage d’un monde ancien qui tarde à mourir à un monde nouveau qui tarde à naître. Cette définition est riche d’enseignements, elle permet de problématiser  notre regard sur le monde contemporain.

Enjeux :

1 – La situation de crise est-elle générale ?

L’économie n’est pas seule en jeu, la crise semble multiforme en ce début du XXIe siècle. Citons pêle-mêle :

  • Crise écologique dues aux relations entre les êtres humains et la nature et à la dégradation accélérée de notre environnement, constat que les ressources de notre planète sont « finies », mais les besoins des hommes sans limites…
  • Crise politique et démocratique avec la montée de l’abstention, des extrêmes politiques, des populismes en tout genre, remise en cause du cadre national par des rébellions identitaires,
  • Crises géopolitiques, multiples, liées à des rivalités de pouvoir sur des territoires qui débouchent sur des situations de violences, de conflits,
  • Crise morale liée à un individualisme engendré par la recherche du succès personnel et du gain, allant de pair avec la perte du sens de l’intérêt collectif , la disparition des anciennes solidarités .
  • Crise de la modernité : qui n’a pas tenu les promesses d’une vie meilleure, plus libre et harmonieuse. Le bonheur n’est pas indexé sur la possession de biens matériels. Le progrès est-il une illusion ?

La Terre semble donc vivre un moment critique. Mais que l’on se rassure : ce sentiment a existé dans d’autres périodes historiques (années Trente) ;  il est sûrement plus ressenti en Europe qu’ailleurs  (le « pessimisme de l’intelligence » disait Gramsci) ; enfin, jamais n’ont existé autant de cadres , de structures pour faire face à ces crises.

2 – Ces crises multiformes  découlent-elles de la mondialisation ?

La mondialisation est fondamentalement libérale et globalisante. Elle a ici une triple influence :

– par la diversité et la croissance de ses flux, elle facilite la propagation des crises ( crises financières, pandémies, crises migratoires) ;

– par son fonctionnement,  elle génère des crises en étant à l’origine d’une économie casino volatile, en créant une concurrence exacerbée entre les territoires et entre les travailleurs ( crise sociale) , en indexant l’aspiration des individus sur le mode de vie des pays avancés ( crises politiques, migratoires), en permettant à des millions d’individus d’accéder à la société de consommation dans un modèle porteur de crises énergétique,  écologique ;

– par ses conséquences , elle rebat les cartes et fait perdre à l’Occident le monopole de la puissance, sans que le monde qui vient ne soit lisible et sûr.  Le monde est moins stable, plus mobile.

 3 – Ces crises sont-elles un changement de modèle ? « la fin d’un monde » ?

Changement de modèle assurément, répond Elie Cohen, sous l’effet de quatre mutations majeures :

  • la montée en puissance des émergents et la fin de la suprématie occidentale ;
  • la financiarisation des économies ;
  • l’avènement de la troisième révolution industrielle
  • l’écologisation de l’économie  (soit la prise en compte inéluctable que nous vivons dans un monde de ressources épuisables).

Nous vivons ,comme l’écrivait Gramsci, le moment où l’ancien ordre du monde s’effondre et où le nouveau tarde à s’imposer. Ce n’est pas confortable, mais c’est passionnant à tenter de comprendre ! 

Repères – Les crises financières contemporaines : Chronologie

La globalisation financière (création d’un marché unique de l’argent au niveau planétaire) a eu comme conséquence la multiplication des crises financières. Leurs causes sont diverses :  retraits brutaux de capitaux des économies émergentes qui assistent à l’effondrement de leurs monnaies, krachs boursiers destructeurs de valeurs pour des marchés occidentaux, plus largement crise systèmique d’un système d’accumulation financière en 2008 qui provoque la plus importante récession depuis 1929.

1994 – 1995 : Crise mexicaine

1997 – 1998 : Crise asiatique, débute en Thaïlande, conduit à une récession généralisée chez les Tigres asiatiques.

1998 : Crise russe, défaut sur la dette.

1999 : Crise brésilienne

2001 : Crise du Nasdaq et krach de la nouvelle économie. Effondrement de l’économie argentine.

2007 : Débute la crise des subprimes : une crise immobilière et financière accélérée par la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers en septembre 2008. Effondrement de la capitalisation boursière mondiale, de la valeur des actifs immobiliers, pertes financières : la destruction financière est évaluée à 60 000 mds de dollars entre 2007 et 2009 (L. Carroué).

2009 : Récession généralisée en Occident (recul de 3.5 % du PIB des pays avancés). Le PIB mondial stagne.

Depuis 2009, crise de la zone euro.

2015 : La Chine ??

Quelques références :

Philippe Dessertine, Ceci n’est pas une crise (juste la fin d’un monde). Ed. Anne Carrière, 2009.

Paul Krugman, Sortez nous de cette crise,… maintenant ! Flammarion, 2012.

Elie Cohen , Crise ou changement de modèle ? La documentation française. 2013.

Anne BATTISTONI-LEMIÈRE

Anne Battistoni-Lemière enseigne la géopolitique en classes préparatoires ECS 1 et 2 au lycée La Bruyère de Versailles